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5. 3. 04- Lisbonne, l'enchanteresse.
Le lendemain, dès mon réveil, ma
chambre était inondée d'un soleil fantastique empli d'air vivifiant,
ce qui me fit sauter du lit. Sous ma fenêtre ne s'étendaient que
merveille à perte de vue, tel un rêve. Entre le rose et le blanc
des maisons, le Tage étalait sa splendeur bleue qui, dédaignant
le sommeil murmurait sans cesse et faisait mourir ses ondulations majestueuses
sur les plages déjà assoupies. Le sable resplendissait de
lumière. Des dunes, enveloppées de multiples fleurs aux coloris
fascinants, me parvenait leur enivrante fraîcheur. Le déjeuner et
Teresa m'attendaient, ainsi que la cohue des beautés portugaises.
À
l'approche de Lisbonne, la tour de Belém semble saluer les touristes
avec une grâce infinie. Véritable forteresse, elle garde
l'entrée de la ville comme une sentinelle. C'est une belle et originale
construction du XVIe siècle du style
manuélin, le plus parfait exemple de l'architecture militaire portugaise
à l'époque des grandes découvertes maritimes. Au
caractère romano-gothique s'ajoute des éléments de décoration
mauresque. Cette tour massive et carrée est ornée de balcons, de
fenêtres géminées et de décorations
manuélines: sphère armillaire, croix de l'Ordre du Christ,
cordages, coquillages. Du côté du Tage, s'ouvre une loggia,
soutenue par des modillons gothiques. Notre-Dame de Belém, placée
dans une niche finement sculptée sur la première terrasse de la
tour, regarde le Tage, veille sur les bateaux et les marins qui
s'éloignent vers le large. Les pêcheurs, avec leurs barques
peintes de vivent couleurs, côtoient les paquebots, qui viennent accoster
devant les gares maritimes de Rocha de Obidos ou
d'Alcantara. La pêche terminée, la flottille rentre au "Cais do Sodré",
toujours très animée.
En face de
la tour, le couvent des "Jérónimos"
commémore d'une façon magistrale le voyage de Vasco de Gama aux
Indes. Les richesses rapportées d'Extrême-Orient par vaisseaux
permirent d'en faire un véritable joyau de la gloire manuéline.
Il fut épargné par le tremblement de terre de 1755, à
l'exception du clocher pyramidal, remplacé par une petite tour couverte
d'une coupole. L'église Santa-Maria de ce couvent, par
l'élégance de ses proportions, donne une impression de
légèreté. La nef et les bas-côtés sont
séparés par de fins piliers octogonaux, couverts de bas en haut
de sculptures représentant les thèmes de la Renaissance. La
lumière, qui arrive abondamment des hautes fenêtres, leur donne
presque la transparence de l'albâtre. La voûte, d'une grande
hardiesse de construction, est lambrissée de fines nervures qui peuvent
évoquer des branches de palmiers. Dans le magnifique portail ouest, au
milieu d'une profusion de détails gothiques, on voit les statues
agenouillées du roi Manuel Premier et de sa femme Dona Maria Soutenus
par leurs saints patrons: saint Jérôme et saint Jean-Baptiste. Son
cloître est considéré comme l'un des plus beaux du monde.
Il s'élève en deux galeries superposées, dont les
voûtes d'ogives sont soutenues du côté du jardin, par
d'énormes piliers et réunis par des arcs appuyés sur de
fines colonnettes sculptées. Une galerie circulaire court
entre les deux étages. La pierre, maintenant patinée par le
soleil, a pris un magnifique ton doré faisant ressortir les
détails des motifs décoratifs de la Renaissance.
Nous
retrouvons, partout sculptées dans la pierre la vie de la mer: des
vaisseaux, des mâts, des cordages qui s'élancent, des ancres, des
amarres et tant d'autres motifs maritimes qui retracent ces
impérissables aventures d'Outre-mer. À Belém, en effet, on
a la sensation de partir à la suite des grands navigateurs, à la
recherche des nouveaux mondes. Le somptueux monastère des
Hiéronymites est devenu un des panthéons portugais. C'est
là que repose Dom Manuel 1er, le roi immortel, Vasco de Gama,
son grand capitaine, et Luis de Comoëns, le
poète éternel. Rien de mieux que ces trois grandes figures, ne
pourrait symboliser plus parfaitement la gloire de cette époque
héroïque.
La plus
jolie place du Portugal est la place du Commerce, qui est la véritable
façade de la Lisbonne pombaline. Admirable de grandeur et d'harmonie,
elle fut dessinée par le Marquis de Pombal, sur l'emplacement du palais
royal érigé au XVIe siècle et
détruit le tremblement de terre. Le côté sud, qui avance
comme un balcon, est bordé par le Tage, dans lequel s'enfonce un
escalier de marbre. Les édifices, qui l'encadrent, aboutissent en
arcades sur la place baignée de lumière et de soleil; au centre,
se dresse la statue équestre de Dom José 1er; en
arrière l'arc de triomphe, orné des statues de Pombal, Vasco de
Gama, Viriatus et Numo Alvarès.
Là-haut,
le château Saint-Georges a gardé sa silhouette de vieille
forteresse médiévale, grâce à une habile
restauration faite pour célébrer le huitième centenaire du
Portugal. La haute muraille, sur laquelle s'élèvent dix tours, se
découpe dans le ciel. Le château fut le décor de la
bataille qui se livra en 1147 entre les Maures qui occupaient le pays et les
troupes du roi Afonso Enriques qui le reconquirent. On y voit encore la porte
où Martin Moniz, au péril de sa vie, permit l'entrée de la
citadelle aux armées portugaises après un siège de
plusieurs mois. On peut à loisir se promener sur l'ancienne place
d'armes transformée en jardin, ou faire le tour des remparts par le
chemin de ronde. La vue s'étend vers la ville et plus bas se dresse,
dans sa sereine austérité, la "Sé",
cathédrale romane construite au XIIe siècle. C'est
là que fut baptisé saint Antoine. Plus haut, le monastère
São Vicente de Fora, où saint Antoine entra dans les ordres de
Saint Augustin. À l'horizon, les collines de l'Outra Banda
arrêtent le regard.
La "Sé" (cathédrale), l'élévateur Santa Junta et le funiculaire "da Bica".
Voluptueusement
étendue sur la rive droite du fleuve royal, Lisbonne étincelle de
tous ses toits, cependant que le bleu, le vert, le rose et l'ocre de ses
façades lui faisaient comme un savant maquillage, nimbé par le
soleil d'une lumière blonde. Dans ses rues, on n'y voit aucun
vélo; par contre, il y a beaucoup de billets de loterie, des boutiques
de friandises raffinées, des magasins de morues (entassées du sol
au plafond), des ateliers (deux mètres sur trois) de sculpteurs sur
bois, des étalages d'objets en argent recouvert d'une pellicule d'or
avec souvenirs en filagramme, liège et céramique. Avec ses sept
collines, et bien d'autres ..., la capitale construisit des ascenseurs publics
qui permettent de se rendre d'une rue basse vers une autre bâtie quarante
mètres plus haut. Il existe un des funiculaires constitués de
deux trams jaunes ayant six petites portes, trente places et ... cinquante
passagers, dont quelques-uns s'accrochent comme ils peuvent.
Comme tout amateur de pittoresque, je m'aventurai dans l'Alfama,
quartier typique d'origine Wisigothe. Il n'y a point de géométrie
au service des règles techniques; on découvre, au contraire,
à chaque pas, la plus grande confusion en matière d'urbanisme.
C'est dans ce labyrinthe de ruelles tortueuses et étroites, où le
soleil ne parvient pas à pénétrer et où d'un
côté à l'autre, les habitants se serrent la main de chez
eux, que se trouve la poésie qui séduit. Escalier,
çà et là, pour passer d'un plan à l'autre; impasses
obscures qui évoquent les temps médiévaux et les bagarres
nocturnes difficilement réprimées par les forces de l'ordre;
angles de maisons, au milieu des pignons lisses et d'étages
avancés; croix de chapelle et blasons dispersés dans un
désordre qui atteste d'un passé à la fois chrétien
et noble; vestiges de remparts à côté d'arcs ou de murs
fleuris; clameurs permanentes où se détachent, avec une
poésie insurpassable, les cris des vendeurs; cohue continuelle de la
foule pressée et de la marmaille en liberté; poissonnières
et chats à tire-larigot, aux miaulements aussi plaintifs que les
"fados" que chantent leurs désirs, leurs amours et leurs
tristesses. Outre ce que seule la sensibilité esthétique pourra révéler
du Portugais, toutes ces émotions séduisent.
Au bout de
l'Avenida da Liberdade, son
plus beau boulevard avec ses six rangées d'arbres, ses nonante
mètres de large, ses étangs où glissent des cygnes noirs,
ses palmeraies et ses terrasses, le marquis de Pombal, du haut de ses quarante
mètre de son piédestal de marbre, regarde la ville et le fleuve.
Partout, il fait bon flâner, et notamment, à travers le parc
Edouard VII, grandiose avec ses
haies basses à angles droits et ses plantes fleurissant deux fois l'an,
où la jeunesse joue au football et rêve d'Eusebio.
Mais l'Estufa Fria (étuve froide) est bien
plus romantique encore ... Elle offre en permanence une exposition de plantes
étranges, originaires des différentes régions du globe.
Protégé sous un filet filtrant, veloutant la trop ardente rigueur
du soleil, ce jardin botanique me permit de ma prélasser en me promenant
dans ses sentiers paradisiaques. Concurrençant toutes les grandes villes
de la Terre, son jardin zoologique, avec sa grandiose collection de tous genres
d'animaux, est un endroit de choix pour les amoureux. Je flânai aussi le
long des échoppes près du Rossio et des
étals de poissons de la ville basses où les "varinas" (marchandes), s'habituent mal à porter
les chaussures obligatoires. En ces marchés, où se mêlent
des vendeuses ambulantes avec leur marchandises sur la tête, montent les
clameurs qui se ripostent avec vigueur et semble se faire écho.
Tout en flânant, une curiosité archéologique, la Casa dos Bicos (maison des diamants) ne manque pas de me ravir. Bâtie au début du XVIe siècle, elle appartint à la famille du grand navigateur Afonso d'Albuquerque; basse et toute en longueur, sa façade, où sont taillées des pierres en "pointes de diamants", à l'italienne, est d'une naïve originalité. Bien sûr, il y a également les musées comme celui des Coches, avec la plus somptueuse collection de carrosses et de voitures d'Etat, rêve d'autrefois à l'abri de cordelières de velours. Quant au musée de la marine, il possède un si grand nombre de pièces authentiques, de reproductions et de témoignages sur la glorieuse épopée qui honora la marine portugaise, qu'il faudrait y consacrer de longues heures. Et bien d'autres musées ont ce mérite, dont je tais mon admiration tant leur description serait interminable. Un autre incontournable est le zoo créé en 1884 et qui possède l'une des meilleurs collections dans le monde qui s'étend sur 16 hectares, abritant plus de 2.000 animaux avec plus de 300 espèces d'oiseaux, dont de nombreux perroquets…
Une autre curiosité est l'aquarium Vasco de Gama, installé sur la route marginale Lisbonne-Carcavelos, au Dafundo. Cette collection fut organisée par Carlos Premier, l'avant dernier roi. À l'entrée du rez-de-chaussée, on y trouve une série d'invertébrés et de coquilles de mollusques. Au premier étage, des collections de vertébrés et plusieurs exemplaires de poissons, de cétacés, d'oiseaux aquatiques, un squelette du "Ziphus Cavirostres" et un exemplaire du "Kogia", dont il n'a que de rares spécimens. C'est un extraordinaire voyage sous la mer que j'y ai effectué car, l'ambiance naturelle des espèces, les couleurs et le décor aquatique sont parfaitement reproduits, que l'on se sent vivre au pays de Jules Verne à bord de son "Nautilus" et ... quel enchantement !
F.J-L : avril 1965, septembre 1967
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